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Voyage de Basterot, 25 sepptembre.

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Submitted by Thomas Efthymiou on

[i] 25 SEPTEMBRE.– Nous devions aller à Éphèse fameuse par ses richesses, par le souvenir
de saint Jean et dans l’antiquité grecque par le temple de Diane que brûla Érostrate dans un but qu'il a atteint, celui de se rendre à jamais célèbre. Mais je manque l'unique train qui conduit à Guzel-Hissar. Il y a déjà deux chemins de fer à Smyrne, l'un allant au nord, l'autre au midi. Je ne regrette pas trop ce contre-temps la chaleur aurait été affreuse parmi les rochers, dans un désert sans ombre livré à la malaria. Du reste, les ruines d'Éphèse sont informes; cependant un ingénieur qui y fait des fouilles pour le musée britannique, et avec qui j'ai voyagé depuis Marseille, croit avoir déterminé définitivement l'emplacement du temple de Diane. Il a aussi découvert quelques curieux tombeaux, un entre autres sur lequel est sculpté plusieurs fois le bœuf de saint Luc et qu'on a tout lieu de supposer devoir être la sépulture de cet évangéliste.
Nous parcourons les bazars de Smyrne, très-animés et présentant à chaque pas des motifs d'aquarelles, marchands de poissons, de pastèques, étal de bouchers, boutiques de vieilles armes, etc.
Je n'essayerai pas une description déjà souvent faite, car c'est là le triomphe de l’école moderne.
La plaie des bazars, ici comme à Constantinople, ce sont les ruffians et entremetteurs juifs cette race intelligente et malheureuse, qui tend à se relever en Occident exerce en Orient tous les métiers vils, s'il y a des métiers vils. On dit que leurs mœurs sont irréprochables dans l'intérieur des familles, assertion que la nombreuse prostitution juive semble contredire. Ce qui est certain, c'est qu'un voyageur ne débarque pas en Orient sans être harcelé par une nuée de ces cicerone d'un genre particulier qui inspirent une grande antipathie par leur
persistance, leur obséquiosité. Il est possible que leur extrême laideur, qui fait tache au milieu des populations pittoresques qui les entourent, contribue quelque peu à cette aversion.
Pour échapper à ceux qui me poursuivent depuis une heure, je gagne le quartier turc, qu'ils n'aiment guère à traverser. Aussitôt je trouve plus de tranquillité, et n'en déplaise
aux turcophobes, plus de propreté. Le quartier juif, au contraire, est toujours le plus sale de tous.
Les Turcs aiment la verdure, les beaux paysages, l'eau courante; dans leurs villes on voit partout de beaux arbres et des fontaines, mais on n'y rencontre aucun signe de fanatisme. J'ai parcouru seul les quartiers les plus reculés des villes turques, sans avoir rencontré jamais de l'hostilité. J'y trouvais plutôt de la bienveillance. Si je m'arrêtais pour regarder de beaux chevaux, de belles armes, des costumes, de grands Turcs à la physionomie ouverte me disaient en souriant le mot sacramentel depuis la guerre de Crimée « bono ».
Certes il ne faut pas faire des gestes aux femmes et leur adresser des plaisanteries de commis voyageurs, mais c'est le cas de tout l'Orient, et les femmes turques sont moins voilées et moins revêches que celles des pays arabes. Une femme turque aujourd'hui à qui nous de- mandons le chemin, nous l'indique avec bonne grâce, en nous montrant à travers un voile léger ses lèvres souriantes et ses beaux yeux noirs.
Je sais que la mode aujourd'hui est de jeter la pierre aux Turcs. La Russie a fait de son mieux à cet égard. Je ne prendrai pas la défense du gouvernement turc, et l'infâme conduite de quelques hauts fonctionnaires, lors des affreux massacres de Syrie en 1860, a fait un tort profond a la cause de la Turquie. Mais il faudrait être juste et comparer son organisation non avec l'Occident, mais avec celle de l'Est de l'Europe. Les Grecs qui crient si fort ont-ils un gouvernement si bien ordonné? Quelle est la sécurité qu'on trouve chez eux, ou la prospérité de leur royaume? Les îles Ioniennes que l'Angleterre leur a cédé dans un état si satisfaisant ne retombent-elles pas dans la sauvagerie?
Quant à la Russie avec son despotisme tartare, et la bassesse sans nom de ses populations d'esclaves qui baisent leurs chaînes, elle est dans l'échelle morale bien inférieure à la Turquie, sans avoir à ce sujet aucune excuse, car elle se prétend civilisée et chrétienne. Les sujets chrétiens de l'empire ottoman n'ont jamais été traités avec la dureté systématique et féroce qu'un gouvernement soi-disant philosophique et libéral a montré envers la malheureuse Pologne. Les catholiques préfèrent mille fois la tolérance du sultan Abdul-Azis au joug pesant du tsar de toutes les Russies. J'ai trouvé ce sentiment même chez les Grecs éclairés.
Et cependant telle est l'aberration des masses, telle est l'influence des mensonges continuels sortis des officines de Pétersbourg et de Moscou, qu'on voit des bandes en Bulgarie prêtes à arborer le drapeau russe, et que même en Autriche les Tchèques de la Bohême, au sein des institutions libres d'un pays régénéré, soupirent après les aménités de l'autocratie moscovite.Espérons que la Turquie résistera encore, et que quand viendra un règlement de la question d'Orient, les Russes seront plutôt refoulés qu'amenés en avant. Loin d'être un progrès, ce serait la ruine de la civilisation que de laisser arriver sur le Bosphore leur odieux despotisme. Le souverain actuel de la Turquie semble plein de modération et des intentions les meilleures. Dans son récent voyage en Europe, il a montré une dignité, une bonne tenue que bien des princes pourraient lui envier. Je n'ai pas la prétention de proposer une solution à la question d'Orient, sur laquelle ont pâli tant de diplomates. Je voudrais une large autonomie pour les populations chrétiennes homogènes, comme les Maronites. Mais dans ce temps où l'on parle si souvent du droit des nationalités, je trouve qu'on devrait tenir compte dans les systèmes des millions de Turcs qui habitent Constantinople et l'Anatolie. Ce n'est pas la partie la moins intéressante de la population. Je suis même tenté de dire qu'elle l'est plus que les autres.

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