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Arrivée à Syra (suite du voyage de Basterot, 23 IX)

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Submitted by Thomas Efthymiou on

[i] 23 SEPTEMBRE.
Quand nous nous levons, l'Éridan a déjà jeté l'ancre devant Syra. C'est la grande place de commerce de l'Archipel. Tout y annonce la prospérité. Le mouvement du port est considérable de nouvelles maisons sont en construction de tous les côtés escaladant les collines, elles iront bientôt rejoindre la vieille Syra, perchée en nid d'aigle sur un haut rocher. Les moulins de Syra sont la Cythère actuelle de l'Archipel. Mais n'abordons pas un sujet interdit. Qu'il vous suffise de savoir que la population, pure d'alliage turc, mélange de sang grec et vénitien, comme à Corfou, est belle, mais déshonnête. Tous les péchés mignons de l'Orient florissent avec grâce sur cet aride rocher. Jusqu'à ces derniers temps, un vernis de piraterie couvrait le tout.
La prospérité de Syra date de la guerre de l'Indépendance. Les Syrates, habiles à ménager la chèvre et le chou, vendaient des fusils aux Hellènes et de la poudre aux Turcs. Cette noble neutralité leur a réussi. Ils seraient fort disposés à agir de même pour la Crète. Cependant ils crient de leur mieux, traitent les Turcs de Barbe-Bleue, se préparent à une nouvelle révolution, et déclarent bien haut que le roi Georges n'a qu'à s'en aller s'il ne rapporte pas l’ile de Crète dans le trousseau de la fille du grand-duc Constantin.
C'est toujours ce peuple que j'ai vu, dans d'autres voyages, intelligent, actif, habile à la navigation, au commerce, plein de vitalité au milieu de cet Orient énervé et engourdi, mais incapable de se gouverner, sans bienveillance, sans scrupules, vantard, querelleur, profondément antipathique à tous ceux qui sont en contact journalier avec lui. J'ai vu l'Orient aussi bien qu'on peut voir des contrées dont on connaît à peine les langues, j'ai entendu des centaines de personnes, négociants, diplomates, voyageurs anglais, français, italiens qui l'ont habité pendant des années. Toujours la même note.
L'aversion pour les Grecs, l'estime, la sympathie pour les Turcs des basses classes, population bonne, honnête, facile à gouverner, moins paresseuse et moins fanatique qu'on ne croit dans l'Occident. Si j'ai trouvé des philhellènes, c'est dans la classe des professeurs, des architectes, des poètes, qui sont restés fidèles à la contemplation de l'art grec ou à l'étude de sa littérature et de sa philosophie.
C'est qu'alors il est impossible de retenir son admiration pour ce peuple, le premier-né de l'esprit humain.
En 1861, j'ai visité l'Attique, le Parthénon, qui révèle à lui seul toutes les proportions de l'art, le Pentélique, Marathon, Salamine, Éleusis. Jamais plus de beauté dans un cadre plus harmonieux.
L'instinct religieux profond, l'aptitude aux spéculations les plus abstraites, le sentiment de l'idéal, une aspiration inquiète vers l'inconnu, furent l'apanage des deux grandes races nobles, les Aryas et les Sémites. Laissons les Sémites de côté, nous les retrouverons au Liban et dans ce pays nommé avec raison Terre-Sainte, puisqu'il vit naître la religion du Christ. Parlons des Aryas, nos ancêtres, dont la branche la plus jeune, les Anglo-Germains, continuant de nos jours vers l'Occident sa marche envahissante, semble destinée à remplacer les populations inférieures de l'Amérique et de l'Océanie.
Aux périodes lointaines, les premières qu'aperçoit vaguement l'histoire, deux peuplades de la grande race aryenne, sorties déjà de la barbarie primitive, arrivaient, l'une dans la vallée du Gange, l'autre aux bords de la mer d'azur, dans ce beau pays découpé de golfes et de
presqu'îles qui s'appelle aujourd'hui la Grèce. Toutes deux étaient ardentes, pleines de sève, supérieures aux races primitives. Elles contenaient toutes deux les germes puissants de l'idéal. Mais tandis que dans l'Inde, au milieu d'une nature implacable, où les neiges éternelles de l'Himalaya bornent les vastes plaines dévorées de soleil, les âmes écrasées se jetaient dans une poésie vague, exubérante, aussi obscure que leurs immenses forêts, les Hellènes, dans un climat tempéré, entourés des sites nobles et gracieux de leur beau pays, créèrent un art heureux où l'homme libre et fier se meut dans la proportion et dans l'harmonie. Les dieux de la Grèce ne furent pas ces monstres repoussants ou terribles dont l'imagination védique, accablée par les vapeurs d'une nature trop luxuriante, peupla les temples mystérieux des grandes vallées de l'Inde; ce furent les plus beaux et les plus sages des hommes, mais des hommes toujours.
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