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Aristote et les belles d'Athènes, polar antique...

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Submitted by Thomas Efthymiou on
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Journal l'Humanité. Rubrique Cultures. Article paru dans l'édition du 25 août 2006.La chronique d’Évelyne Pieiller.De la démocratie.

[b][u]Aristote et les belles d’Athènes[/u], de Margaret Doody. Traduit de l’anglais par Bernard Cucchi. Éditions 10/18, coll. « Grands Détectives », 446 pages.[/b]
On le sait maintenant depuis longtemps, la série « Grands Détectives » - ah, toutes ces majuscules bizarres, dont on ne voit pas bien la justification, mais qui sont probablement là pour signaler, à l’américaine, l’importance du terme majuscule - vaut désormais par son côté documentaire, genre « la vie quotidienne au temps de... ». Ce n’est pas en soi regrettable, toutes les grandes oeuvres ont une dimension documentaire. Non, ce qui est un tantinet affligeant, c’est que ce soit le documentaire qui l’emporte et que la « fiction », comme on dit maintenant pour imiter le lexique télévisuel, l’intrigue, le verbe, etc., ne soit plus qu’un prétexte. Le dernier roman de M. Doody en est une parfaite illustration. Excellent pour se familiariser avec les habitudes, les façons de penser, les institutions, même, d’Athènes. On dit bien d’Athènes, et non de la Grèce, même si les deux sont souvent confondues. Car quand on parle du « miracle grec », c’est d’abord d’Athènes qu’on parle. D’accord, ce n’est plus forcément un sujet de conversation très fréquent. Depuis une trentaine, peut-être une quarantaine d’années, les humanités ont fortement perdu de leur importance, au point qu’il semble bien qu’on finisse par réduire l’héritage européen à la culture chrétienne : soyons clair, il ne s’agit pas de regretter que l’héritage européen ne soit plus quintessencié en valeurs gréco-romaines, d’autant que la notion d’Europe nous paraît extrêmement floue, sinon fantasmatique : ce que relaie avec une clarté aveuglante d’ailleurs celle d’Occident, qui devient si épouvantablement banale - on se rappelle que c’était le nom d’un parti d’extrême droite. Mais dans notre histoire à nous, tout bêtement, il n’y a pas eu que la Bible et l’Église : il y a eu aussi, entre autres, les Grecs
et les Romains, dans le vocabulaire, dans la littérature, dans les arts, dans le droit, dans l’élaboration du paysage, dans l’élaboration du paysage mental aussi, et c’est considérable. Bon... Ce n’est pas tout à fait sans importance, surtout en cette époque folle qui cherche à définir l’identité des cultures - avec un net penchant pour l’évocation des origines, toujours si ingénument, si dangereusement mythiques, et mystifiantes -, de savoir un peu précisément ce qu’il en était d’Athènes, par exemple... Athènes, ou la Grèce, comme dirait Monsieur Homais, qui serait à l’origine (ah ! l’origine...) du théâtre et de la démocratie...
Margaret Doody, Canadienne, professeur des universités aux États-Unis, n’évoque pas du tout le théâtre dans ce roman un peu laborieux, mais qui se laisse lire gentiment.
En revanche, elle y parle politique et justice, et on entrevoit comment fonctionnait la démocratie. Mais, bien sûr, ce n’est pas un essai, et il y a quand même un support romanesque : Aristote - oui, lui-même, le philosophe, le précepteur d’Alexandre, celui dont la pensée deviendra l’un des cadres de la pensée classique -, Aristote le non-Athénien devient détective pour tirer au clair une sombre histoire de meurtre, à laquelle se trouvent mêlés des citoyens et des hétaïres, sur fond de tensions entre Athènes et la Macédoine. C’est ainsi qu’on s’instruit gracieusement sur les lupanars athéniens, dont certains étaient très luxueux, sur les tarifs et la législation desdits lupanars, qu’on croise Phryné la reine des courtisanes, et Praxitèle, qui va s’inspirer d’elle pour sculpter Aphrodite sortant de l’onde... C’est ainsi qu’on apprend comment était réglée la justice à Athènes : avocat de la défense, avocat de l’accusation, témoins, etc., chacun pouvait formuler une accusation, et hop, on était l’objet
d’une procédure... Mais aussi, et surtout, on voit comment tous ceux qui ne sont pas des citoyens sont assujettis à une dépendance violente : les esclaves, bien sûr, qui peuvent être torturés ; les femmes, voilées à l’extérieur de la maison, et que même les maris n’ont pas le droit de voir nues, les femmes, oui, qui n’ont pas même l’autorisation de parler à un autre homme directement ; les mineurs, naturellement ;
et les étrangers, qui doivent rester prudents et en marge de l’activité publique. Sacrée démocratie, même si les citoyens en pratiquent l’exercice, de façon très directe, avec tous les risques de populisme et de manipulation que cela comporte. On n’est plus au siècle d’or, Athènes commence à ne plus croire en elle, mais les institutions sont les mêmes... Les ombres d’Homère, de Socrate et de Platon glissent, toujours merveilleuses, sur l’Hymette, bon, ce n’est pas un retournant chef-d’oeuvre, mais on peut rêver alentour.

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