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Bélisaire (2) suite.

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[i] Qu'on s'imagine, au nom de Bélisaire, au nom de ce Héros tant de fois vainqueur dans les trois parties du monde, quels furent leur étonnement et la confusion de ces jeunes gens. L'immobilité, le silence, exprimèrent d'abord le respect dont ils étaient frappés ; et oubliant que Bélisaire était aveugle, aucun d'eux n'osa lever les yeux sur lui.
- O grand homme ! lui dit enfin Tibère, que la fortune est injuste et cruelle ! Quoi ! Vous, à qui l'Empire a dû pendant trente ans sa gloire et ses prospérités, c'est vous que l'on ose accuser de révolte et de trahison, vous qu'on a traînés dans les fers, qu'on a privé de la lumière ! Et c'est vous qui venez nous donner des leçons de dévouement et de zèle !
- Et qui voulez-vous donc qui vous en donne, dit Bélisaire ? Les esclaves de la faveur ?
- Ah, quelle honte ! Ah, quel excès d'ingratitude, poursuivit Tibère ! L'avenir ne le croira jamais.
- Il est vrai, dit Bélisaire, qu'on m'a un peu surpris ; je ne croyais pas être si mal traité. Mais je comptais mourir en servant l'État ; et mort ou aveugle, cela revient au même. Quand je me suis dévoué à ma Patrie, je n'ai pas excepté mes yeux. Ce qui m'est plus cher que la lumière et que la vie, ma renommée, et surtout ma vertu, n'est pas au pouvoir de mes persécuteurs. Ce que j'ai peut-être effacé de la mémoire de la Cour ; il ne le sera point de la mémoire des hommes ; et quand il le serait, je m'en souviens, et c'est assez.

Les convives, pénétrés d'admiration, pressèrent le Héros, de se mettre à table.
- Non, leur dit-il, à mon âge la bonne place et le coin du feu.
On voulut lui faire accepter le meilleur lit du château, il ne voulut que de la paille.
- J'ai couché plus mal quelquefois, dit-il : ayez seulement soin de cet enfant qui me conduit, et qui est plus délicat que moi.

Le lendemain Bélisaire partit, dès que le jour put éclairer son guide, et avant le réveil de ses hôtes, que la chasse avait fatigués. Instruits de son départ, ils voulaient le suivre, et lui offrir un char commode, avec tous les secours dont il aurait besoin.
- Cela est inutile, dit le jeune Tibère ; il ne nous estime pas assez pour daigner accepter nos dons.
C'était sur l'âme de ce jeune homme que l'extrême vertu, dans l'extrême malheur, avait fait le plus d'impression.
- Non, dit-il à l'un de ses amis, qui approchait de l'Empereur, non jamais ce tableau, jamais les paroles de ce vieillard ne s'effaceront de mon âme. En m'humiliant il m'a fait sentir combien il me restait à faire, si je voulais jamais être un homme.
Ce récit vint à l'oreille de Justinien, qui voulut parler à Tibère.
Tibère, après avoir rendu fidèlement ce qui s'était passé :
- Il est impossible, ajoutait-il, Seigneur, qu'une si grande âme ait trempé dans le complot dont on l'accuse ; et j'en répondrais sur ma vie, si ma vie était digne d'être garant de sa vertu.
- Je veux le voir et l'entendre, dit Justinien, sans en être connu ; et dans l'état où il est réduit, cela n'est que trop facile. Depuis qu'il est sorti de la prison, il ne peut pas être bien loin ; suivez ces traces, tachez de l'attirer dans votre maison de campagne : je m'y rendrai secrètement.
Tibère reçu cet ordre avec transport, et dès le lendemain il prit la route
que Bélisaire avait suivie.

[center]Chapitre II[/center]

Cependant Bélisaire s'acheminait en mendiant, vers un vieux château en ruine, où sa famille l'attendait. Il avait défendu à son conducteur de le nommer sur la route ; mais l'air de noblesse répandu sur son visage et dans toute sa personne, suffisait pour intéresser. Arrivé le soir dans un village, son guide s'arrêta à la porte d'une maison, qui, quoi que simple, avait quelqu'apparence.
Le Maître du logis rentrait, avec sa bêche à la main. Le port, les traits de ce vieillard fixèrent son attention. Il lui demanda ce qu'il était.
- Je suis un vieux soldat, répondit Bélisaire.
- Un soldat, dit le villageois ! Et voilà votre récompense !
- C'est le plus grand malheur d'un Souverain, dit Bélisaire, de ne pouvoir payer tout le sens qu'on verse pour lui.
Cette réponse émut le cœur du villageois ; il offre l'asile au vieillard.
- Je vous présente, dit-il à sa femme, un brave homme, qui soutient courageusement la plus dure épreuve de la vertu. Mon camarade, ajouta-t-il, n'ayez pas honte de l'état où vous êtes, devant une famille qui connaît le malheur. Reposez-vous sur moi, nous allons souper. En attendant, dites-moi, je vous prie, dans quelle guerre vous avez servi.
- J'ai fait la guerre d'Italie contre les Goths, dit Bélisaire, celle d'Asie contre les Perses, celle d'Afrique contre les Vandale et les Maures.
À ces derniers mots, le villageois ne put retenir un profond soupir.
- Ainsi, dit-il, vous avez fait toutes les campagnes de Bélisaire ?
- Nous ne nous sommes point quittés.
- Excellent homme ! Quelle égalité d'âme ! Quelle droiture ! Quelle élévation ! Est-il vivant ? Car dans ma solitude, il y a plus de vingt-cinq ans que je n'entends parler de rien.
- Il est vivant.
- Ah ! Que le ciel bénisse et prolonge ses jours !
- S'il vous entendait, il serait bien touché des vœux que vous faites pour lui !
- Et comment dit-on qu'il est à la Cour ? Tout-puissant ? Adoré sans doute ?
- Hélas ! Vous savez que l'envie s'attache à la prospérité.
- Ah ! Que l'Empereur se garde bien d'écouter les ennemis de ce grand homme. C'est le génie tutélaire et vengeur de son Empire.
- Il est bien vieux !
- N'importe ; il sera dans les conseils de ce qu'il était dans les armées ; et sa sagesse, si on l'écoute, sera peut-être encore plus utile que ne l'a été sa valeur.
- D'où vous est-il connu, demanda Bélisaire attendri ?
- Mettons-nous à table, dit le villageois : ce que vous demandez nous mènerait trop loin. (à suivre) [/i]

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