[i] [b][u] [center]La prise de Bérat[/center] [/u][/b]
Je ne sais si l'histoire des méchancetés humaines offrirait un second exemple d'une inimitié comparable à celle d'Ali, pacha de Jannina, pour son voisin Ibrahim, pacha de Bérat ; je veux dire une inimitié aussi injuste et aussi longue, aussi calme et aussi forte, aussi habilement ménagée, et satisfaite avec plus de mesure et plus en détail. Depuis le jour où Ali se brouilla avec Ibrahim, qui lui fut préféré pour gendre par Kourd pacha, jusqu'à celui où il l'enferma dans un cachot sous l'escalier de son palais, afin d'avoir le plaisir de lui passer tous les jours sur la tête, trente années s'écoulèrent, dont pas un jour ne fut perdu pour ce triomphe graduel de la haine. Il serait beaucoup trop long de tout dire là-dessus, et je ne pourrais d'ailleurs que répéter ce qu'en a dit M. Pouqueville dans la vie d'Ali pacha ; je ne toucherai qu'au fait indispensable pour l'intelligence de cette pièce.
Ce fut en 1810 qu'Ali, tout-puissant en Albanie, en Épire, en Acarnanie, et maître, par ses fils, du reste de la Grèce, jusqu'au cœur de la Morée, se crut en position de porter un coup décisif à l'Ibrahim, et de le chasser de son pachalik. Tout le ménagement qu'il garda, dans cette affaire, envers le divan qui s'intéressait à Ibrahim, et aurait voulu le maintenir, fut de ne pas marcher en personne contre la ville de Bérat, et de remettre les forces nécessaires pour la prendre au fameux bey albanais, Omer Vryonis, qui eut l'air de les employer comme siennes, et de guerroyer pour son compte, en les menant contre Ibrahim, avec lequel il avait d'anciens démêlés. Huit mille hommes arrivèrent sous les murs de Bérat et en firent le siège. Ibrahim n'était pas en état de se défendre ; il capitula au bout de quelques jours, livra Bérat et tout le reste de son pachalik à son ennemi, et n'obtint pas sans difficulté la permission de se retirer à Avlone, en donnant son fils unique pour otage.
C'est à cette expédition d'Ali pacha, sous le nom d'Omer Vryonis, et à la reddition de Bérat par Ibrahim, que se rapporte la pièce suivante. Je n'en ai eu qu'une seule copie, où il manquait quelques vers à la fin ; mais la lacune était aisée à remplir et l'a été heureusement. La chanson n'est pas remarquable du côté poétique ; mais une particularité historique qui la rend intéressante, c'est une liste des principaux capitaines de Klephtes alors soumis à Ali pacha, qui se trouvèrent à cette expédition peu digne de leur bravoure. Le capitaine Iskos, que l'on y voit figurer, est le père du chef du même nom qui se distingue aujourd'hui dans l'armée grecque. Ce Varnakiotis qui s'y trouve aussi est le même qui depuis s'est couvert d'opprobre par la seule trahison dont on ait entendu parler dans la révolution de la Grèce. (Claude Fauriel)
[center] ΑΛΩΣΙΣ ΤΟΥ ΜΠΕΡΑΤΙΟΥ.
Μαύρον πουλί εκάθονταν ΄σ του Μπερατιού το κάστρον
Μυριολογούσε θλιβερά, κ΄ανθρώπινα λαλούσε
“Σήκου, πασά, να φύγωμεν, να πάμεν ΄σ τον Αυλώνα.
“Αλή πασάς μας πλάκωσε με δεκοχτώ χιλιάδαις
“Φέρει και τον Ομέρμπεην, τον έχει χασνατάρην
“Γιά να σε δώση ζωντανόν στα χέρια του Βεζίρη.
“Έρχωνται και των χριστιανών πολλά καπετανάτα,
“Ο Ίσκος απ΄την Δούνιτσαν, ο υιός του Γρίβα Γεώργου,
“Ζόγκος απ΄ το Ξερόμερον, ο Γεώργης Βαρνικιώτης,
“Του Μπουκοβάλλα τα παιδιά, και οι Σκυλλοδημαίοι,
“Ο Διάκος και ο Πανουργιάς, κ΄οι δυό Κοντοϊανναίοι.
Σαν άναψε ο πόλεμος, και η φωτιά επήρεν,
Έπεφταν βόλια σαν βροχή, κανόνια σαν χαλάζι
Κ΄ οι Κλέφτες εξεσπάθωσαν, κ΄επήδησαν ΄σ το κάστρον.
Τότε φωνή ακούσθηκε μέσα από τον πύργον
“Παιδιά μου, τι σκοτόνεσθε ; σταθήτε παλλικάρια !
“Τι τόσον αίμα χύνετε ; ψυχάτε την ανδριάν σας !
Σταθήτε ! τώρα τα κλειδιά σας φέρομεν του κάστρου. [/center]
[center]La prise de Bérat.
Un oiseau noir s'est posé sur la citadelle de Bérat ;
il se lamente tristement, et parle en langue humaine :
« Lève-toi, pacha, fusion, sauvons-nous à Avlone.
Ali pacha fond sur nous avec dix-huit mille (combattants) :
Il amène Omer Vryonis dont il a fait son trésorier,
Pour qu'Omer te livre vivant entre ses mains.
(Avec lui) viennent encore plusieurs capitaines des Chrétiens,
Iskos de Dounitsa, les fils de George Grivas,
Zongos de Xéroméron, George Varnakiotis,
les descendants de Boukovallas, les Skyllodimos,
Diakos, Panoúrgias et les deux Kontoghiannis. »
Dès que le feu eut commencé, dès que la bataille s'anima,
les coups de canon tombaient comme la pluie, les boulets comme grêle.
Les Klephtes tirèrent leurs sabres, et sautèrent dans la ville.
Alors, de la tour, une voix fut entendue :
« Mes enfants, pourquoi vous entre-tuez vous ? Arrêtez, ô braves :
pourquoi versez-vous autant de sang ? Épargnez votre bravoure :
arrêtez ! Nous vous portons sur l'heure les clés de la ville.
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