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La mort de Socrate, Lamartine, suite (6).

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— Mais le mal, dit Cébès, qui l'a créé ? — Le crime :
Des coupables mortels châtiment légitime,
Sur ce globe déchu le mal et le trépas
Sont nés le même jour : Dieu ne les connaît pas!
Soit qu'un attrait fatal, une coupable flamme
Ait attiré jadis la matière vers l'âme;
Soit plutôt que la vie, en des nœuds trop puissants
Resserrant ici-bas l'esprit avec les sens,
Les pénètre tous deux d'un amour adultère,
Ils ne sont réunis que par un grand mystère.
Cette horrible union, c'est le mal : et la mort,
Remède et châtiment, la brise avec effort.
Mais, à l'instant suprême où cet hymen expire,
Sur les vils éléments l'âme reprend l'empire,
Et s'envole, aux rayons de l'immortalité,
Au monde du bonheur et de la vérité !

— Connais-tu le chemin de ce monde invisible?
Dit Cébès ; à ton oeil est-il donc accessible?
— Mes amis, j'en approche, et pour le découvrir...
— Que faut-il? dit Phédon. — Être pur et mourir !

« Dans un point de l'espace inaccessible aux hommes ,
Peut-être au ciel, peut-être aux lieux même où nous sommes.
Il est un autre monde, un Élysée, un ciel,
Que ne parcourent pas de longs ruisseaux de miel,
Où les âmes des bons, de Dieu seul altérées,
D'un nectar éternel ne sont pas enivrées,
Mais où les mânes saints, les immortels esprits,
De leurs corps immolés vont recevoir le prix!
Ni la sombre Tempé, ni le riant Ménale,
Qu'enivre de parfums l'haleine matinale,
Ni les vallons d'Hémus, ni ces riches coteaux
Qu'enchante l'Eurotas du murmure des eaux,
Ni cette terre enfin des poëtes chérie
Qui fait aux voyageurs oublier leur patrie,
N'approchent pas encor du fortuné séjour
Où le regard de Dieu donne aux âmes le jour;
Où jamais dans la nuit ce jour divin n'expire;
Où la vie et l'amour sont l'air qu'elle respire;
Où des corps immortels ou toujours renaissants
Pour d'autres voluptés lui prêtent d'autres sens.

— Quoi des corps dans le ciel? La mort avec la vie?
— Oui, des corps transformés que l'âme glorifie!
L'âme, pour composer ces divins vêtements,
Cueille en tout l'univers la fleur des éléments;
Tout ce qu'ont de plus pur la vie et la matière,
Les rayons transparents de la douce lumière,
Les reflets nuancés des plus tendres couleurs,
Les parfums que le soir enlève au sein des fleurs,
Les bruits harmonieux que l'amoureux Zéphire
Tire au sein de la nuit de l'onde qui soupire,
La flamme qui s'exhale en jets d'or et d'azur,
Le cristal des ruisseaux roulant dans un ciel pur,
La pourpre dont l'aurore aime à teindre ses voiles,
Et les rayons dormants des tremblantes étoiles,
Réunis et formant d'harmonieux accords,
Se mêlent sous ses doigts et composent son corps,
Et l'âme, qui jadis esclave sur la terre
A ses sens révoltés faisait en vain la guerre
Triomphante aujourd'hui de leurs vœux impuissants,
Règne avec majesté sur le monde des sens,
Pour des plaisirs sans fin, sans fin les multiplie,
Et joue avec l'espace et les temps et la vie!

Tantôt, pour s'envoler où l'appelle un désir,
Elle aime à parfumer les ailes du zéphyr,
D'un rayon de l'iris en glissant les colore;
Et du ciel aux enfers, du couchant à l'aurore,
Comme une abeille errante elle court en tout lieu
Découvrir et baiser les ouvrages de Dieu.
Tantôt au char brillant que l'aurore lui prête
Elle attelle un coursier qu'anime la tempête;
Et, dans ces beaux déserts de feux errants semés,
Cherchant ces grands esprits qu'elle a jadis aimés,
De soleil en soleil, de système en système,
Elle vole et se perd avec l'âme qu'elle aime,
De l'espace infini suit les vastes détours,
Et dans le sein de Dieu se retrouve toujours !

« L'âme, pour soutenir sa céleste nature,
N'emprunte pas des corps sa chaste nourriture;
Ni le nectar coulant de la coupe d'Hébé,
Ni le parfum des fleurs par le vent dérobé.
Ni la libation en son honneur versée,
Ne sauraient nourrir l'âme : elle vit de pensée,
De désirs satisfaits, d'amour, de sentiments,
De son être immortel immortels aliments.
Grâce à ces fruits divins que le ciel multiplie,
Elle soutient, prolonge, éternise sa vie,
Et peut, par la vertu de l'éternel amour,
Multiplier son être, et créer à son tour!

« Car, ainsi que les corps, la pensée est féconde.
Un seul désir suffit pour peupler tout un monde;
Et, de même qu'un son par l'écho répété,
Multiplié sans fin, court dans l'immensité,
Ou comme en s'étendant l'éphémère étincelle
Allume sur l'autel une flamme immortelle;
Ainsi ces êtres purs l'un vers l'autre attirés,
De l'amour créateur constamment pénétrés,
A travers l'infini se cherchent, se confondent,
D'une éternelle étreinte, en s'aimant, se fécondent,
Et, des astres déserts peuplant les régions,
Prolongent dans le ciel leurs générations.
O célestes amours ! Saints transports ! Chaste flamme!
Baisers où sans retour l'âme se mêle à l'âme,
Où l'éternel désir et la pure beauté
Poussent en s'unissant un cri de volupté!
Si j'osais!... » Mais un bruit retentit sous la voûte!
Le sage interrompu tranquillement écoute,
Et nous vers l'occident nous tournons tous les yeux :
Hélas! C’était le jour qui s'enfuyait des cieux !
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