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Le Figaro,fr: Les Orthodoxes (Vianney Aubert), 27 XII 06

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[b][u][i]Les orthodoxes, gardiens vigilants de la tradition[/i][/u][/b]

À L'OMBRE du stade de football de Nantes, la petite chapelle en bois de Sibérie possède le caractère exotique et incongru des pavillons de l'Exposition universelle de 1900 qui ravissait l'imaginaire du visiteur. Érigée en 2005, l'église Saint-Basile a donné un nouveau souffle à la communauté orthodoxe de Nantes, après quatre-vingts ans d'existence et d'errance. « Avant, nous étions accueillis une fois par mois dans une église catholique que nous devions aménager juste avant l'office. Il nous fallait pousser les bancs et accrocher nos icônes. On voyait aussi beaucoup de gens de l'Est qui avaient du mal à retrouver leur église quand ils voyaient la photo du Pape en entrant », raconte le prêtre de la paroisse, Lambert van Dinteren. La construction de l'église nantaise est symbolique du nouvel essor de l'orthodoxie, porté par les récentes vagues d'immigration des années 1980 et 1990. Elles ont fait suite à celles du début du XXe siècle, qui avaient entraîné son implantation sur le sol français. « De 200 paroisses en 1935, on était tombé à environ 120 dans les années d'après-guerre. Il a fallu attendre les années 1990 pour revenir au même niveau. Aujourd'hui, on l'a un peu dépassé », explique Jean Roberti, recteur de Saint-Jean-de-Cronstadt à Rennes. À Nantes, le fichier paroissial, qui ne comptait que 80 familles en l'an 2000, en recense désormais plus de 300.

Pourtant, tout ne va pas pour le mieux en orthodoxie. Car cette prospérité nouvelle, qui a porté le nombre des fidèles de 250 000 à 400 000, estime-t-on, a des allures désordonnées. Avec ses bulbes qui la surmontent et exhalent un parfum de Russie éternelle et paysanne, au milieu d'un décor urbain de périphérie de ville, l'église Saint-Basile reflète l'image d'une communauté française en quête d'identité, ballottée entre désir d'intégration et tentations ethniques. Cela tient à l'histoire. Arrivée dans les bagages des Russes fuyant la révolution de 1917 et des Grecs chassés d'Asie Mineure, l'orthodoxie s'est constituée en diaspora, chaque communauté apportant sa propre Église. On en dénombre aujourd'hui près d'une dizaine (Églises grecque, roumaine, serbe, bulgare, géorgienne, copte et russes, dépendant du patriarcat de Moscou ou de celui de Constantinople), qui, malgré une propension à chanter en public leur unité, rivalisent en coulisses d'efforts pour se damer le pion. Dans sa lettre paroissiale d'avril, Serge Sollogoub, recteur à Meudon, dénonçait « une course à l'ouverture de paroisses, souvent dans des lieux déjà desservis, alors que de nombreuses villes, de plus de 100 000 habitants, n'en ont pas ». « Non, il ne peut pas y avoir de concurrence entre nous », répond Mgr Innocent, évêque du patriarcat de Moscou, avant d'ajouter avec un sourire austère : « Mais il est propre à la nature humaine de chercher la première place. »

Cette lutte, qu'illustrent les affaires de Nice et de Biarritz où les deux Églises russes se livrent bataille pour le contrôle de ces paroisses historiques, n'est pas du goût des fidèles. « Il y a un réel problème. Depuis le temps que l'orthodoxie est en France, il serait temps qu'elle ait une vie propre », estime Guy Lumeau, marguillier de la paroisse nantaise. Comme lui, la plupart des convertis et des enfants ou petits-enfants d'immigrés, qui constituent le noyau des paroisses francophones, aimeraient voir émerger une Église locale unifiée. « Il y a vingt ans, je pensais qu'on y arriverait vite », souffle Didier Vilanova, physicien au CEA et secrétaire général de la Fraternité orthodoxe, créée dans les années 1960 pour passer outre la dimension nationale des Églises et rassembler les orthodoxes de France et de Belgique. C'était sans compter sur les nouvelles immigrations de Russie et d'Europe de l'Est qui ont relancé la création de paroisses d'accueil. Le slavon, vieux russe utilisé pour la liturgie en Russie, a fait un retour en force, et certaines églises sont redevenues des sas d'intégration où l'on rivalise de dévotion. « Ce n'était pas comme ça avant. Désormais, il y a une différence sensible entre ici et une paroisse de nouveaux Russes. Dans leur choeur, on dirait des gens venus de l'opéra qui ne savent pas ce qu'ils font là, leur chant est plus académique que votif », note un fidèle à la sortie de Saint-Séraphin- de-Sarov à Paris. Dans cette église de bois, cachée au fond d'une cour du XVe arrondissement, quartier historique de l'immigration russe, des convertis, qui ici comme ailleurs sont cadres supérieurs, professeurs, chercheurs ou avocats venus à l'orthodoxie après un long cheminement, et des descendants de familles russes se retrouvent pour la liturgie du dimanche qu'ils prolongent autour d'un café. Des fruits et des gâteaux sont servis, pour pallier le jeûne imposé depuis minuit. Il y a là Bertrand, cadre dans la banque, qui a quitté le catholicisme, charmé par la liturgie que bercent les chants polyphoniques et les effluves d'encens. Elle lui rappelle l'atmosphère des monastères bénédictins qu'il fréquenta enfant. « Au départ, ce n'était pas une démarche théologique, mais un besoin de beauté. Je me sens apaisé dans l'orthodoxie. La beauté de la liturgie me transporte, alors que, dans les messes paroissiales catholiques, je ne trouvais pas cette paix, je me sentais violenté car on s'adresse à ma raison, qui naturellement résiste », confie-t-il. « J'ai découvert que la mort pouvait être belle. C'est un office de joie rentrée, il n'y a aucune tristesse. Tout est en douceur, moi, ça m'a bouleversé », raconte Jean Roberti, ancien marxiste séduit par la beauté des funérailles. La liturgie, que Cyril, petit-fils d'exilés russes qui ne se rend à l'église qu'à Noël et à Pâques, décrit comme « hors du temps », séduit ceux qui jugent que, dans l'Église catholique, le discours social domine la parole évangélique, et que le désir d'une présence au monde a balayé le sens du sacré. Dans l'orthodoxie, le rituel prime. Codifié par les liturgies de saint Jean Chrysostome et de saint Basile, le Livre des heures qui règle les offices monastiques (vêpres, vigiles, matines...), le Sanctoral qui inventorie les fêtes des saints et le Typikon qui ordonne l'année en cycles, il est immuable. À tel point qu'à l'exception de la langue, rien, pour le visiteur, ne distingue une Église russe d'une Église roumaine. Les différences y sont bien moindres qu'entre deux paroisses catholiques car on ne touche pas à la tradition, garante des dogmes. La moindre évolution, aussi minime soit-elle, est regardée avec suspicion, quand elle n'est pas taxée d'hérésie. La modernité n'aurait-elle pas de sens ? Paradoxalement, ce carcan, avec ses quatre carêmes bannissant les produits animaux, est pour certains un espace de liberté. « Je souffrais beaucoup dans le catholicisme du poids de la morale très orientée vers les questions sexuelles et d'une hiérarchie assez pesante », confie Didier Vilanova. Quant à François, divorcé, mis au banc de l'institution catholique, il a été sensible à l'accueil de l'Église orthodoxe. Et d'autres de faire remarquer que les prêtres sont mariés, comme aux premiers siècles de l'Église.

Chez nous, rien n'a changé depuis les apôtres », proclament fièrement et sûrement les croyants, pour lesquels le symbolisme qui marque chaque geste de la liturgie et les nombreuses inclinaisons et prosternations, toutes accompagnées du signe de la croix, sont les manifestations de cette permanence. « C'est un retour aux sources. Dans le catholicisme, il me manquait un sérieux biblique, et dans le protestantisme, le pouvoir de prier avec mon corps », explique le père Lambert Van Dinteren, d'origine néerlandaise. « Tout le corps est sollicité mais sans sentimentalisme », ajoute Grégoire Aslanoff, peintre d'icônes. Notamment à travers ces peintures où le corps des saints n'est pas stigmatisé mais transfiguré. « Le sujet de l'icône, c'est la sainteté. On n'essaye pas de représenter la matière de la peau, on se débarrasse de la pesanteur. Il n'y a pas de source lumineuse, le corps est comme éclairé de l'intérieur », explique cet élève d'Ouspensky (lire l'encadré), héritier d'une lignée orthodoxe, d'une de ces familles d'origine russe où l'on est élevé dans l'amour de la religion plutôt que dans la nostalgie de la patrie perdue. Où l'on est même parfois prêtre de père en fils. « L'orthodoxie française, c'est un peu le jeu des sept familles », s'amuse Grégoire Aslanoff. Son grand-père, Vladimir Lossky, fondateur de la paroisse parisienne Notre-Dame-des-Affligés, est considéré comme l'un des grands théologiens du XXe siècle, sa mère a beaucoup écrit pour la catéchèse, son oncle Nicolas vient d'être ordonné prêtre dans l'église familiale où sa cousine dirige le choeur... Mais pour beaucoup de descendants d'exilés russes, membres de la troisième génération, l'orthodoxie se limite aux grandes fêtes de Noël et de Pâques. « C'est une occasion de se retrouver en famille, mais on ne baigne pas dans la nostalgie d'un pays que l'on n'a pas connu », dit Cyril. Si quelques traditions, comme celles des oeufs peints, de la paskha (crème) et du koulich (gâteau recouvert de sucre) à Pâques, sont transmises, la foi, elle, se perd souvent...

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