Newport (Grande-Bretagne) : de notre envoyée spéciale Alexandrine Bouilhet
[02 septembre 2005]
L'Union européenne a accentué, hier, sa pression sur la Turquie afin qu'elle reconnaisse enfin la République de Chypre. Réunis à Newport, au pays de Galles, à l'invitation de la présidence britannique de l'UE, les ministres européens des Affaires étrangères se sont mis d'accord sur une déclaration commune enjoignant Ankara de «normaliser» ses relations avec Chypre, dans le cadre de ses pourparlers d'adhésion à l'Union européenne. Sous la pression de certaines capitales, notamment de Paris, aussi bruyante que confuse sur la question turque, les ministres de l'Union ont exprimé leur «regret» du refus d'Ankara de reconnaître Nicosie. La déclaration unilatérale publiée par la Turquie lors de la signature, fin juillet, à Bruxelles, d'un accord douanier avec l'Union élargie, a irrité les États membres les plus hostiles à l'adhésion de ce pays. Il s'agit de Chypre bien sûr mais aussi de l'Autriche et, depuis le non à la Constitution, de la France et des Pays-Bas.
Sur le plan juridique, la Turquie, négociatrice coriace, est dans son droit. Elle a rempli toutes les conditions fixées par Bruxelles avant l'ouverture des négociations d'adhésion, fixée au 3 octobre. La reconnaissance de Chypre n'a jamais figuré parmi les exigences européennes. Bruxelles tablait sur un règlement de ce casse-tête par l'ONU, qui a échoué. Les Chypriotes grecs ont voté non au plan de paix de l'ONU, en avril 2004, alors que la minorité turque du nord de l'île l'a approuvé. La Commission européenne s'est trouvée dans une impasse, entraînant avec elle tous les États membres, obligés d'intégrer en mai 2004 une île divisée et occupée militairement par un pays candidat.
Dans ce jeu de dupes, la Turquie a commis un impair politique en assortissant sa signature du dernier document exigé par l'Union d'une fin de non-recevoir à l'égard de la République de Chypre. D'après les ministres des Vingt-Cinq, la déclaration turque «n'a pas d'effet juridique» au regard de l'accord douanier signé par Ankara. L'Union rappelle qu'elle ne reconnaît que la République de Chypre et non pas la République turque de Chypre du Nord (RCTN). Les Vingt-Cinq exigent «l'application concrète» de l'accord douanier y compris dans le domaine des transports, Ankara refusant l'accès à ses ports et aéroports des navires et avions chypriotes grecs. Pour l'Union, la Turquie doit honorer ses obligations commerciales de manière «non discriminatoire».
Abdullah Gül, le ministre turc des Affaires étrangères, qui doit rejoindre ses collègues européens pour le déjeuner aujourd'hui, a réaffirmé que son pays n'avait pas l'intention d'ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions chypriotes grecs, au prétexte que l'accord douanier concernerait les marchandises et non les services. Cet argument contestable a fait bondir plusieurs ministres européens, de plus en plus agacés par les manoeuvres dilatoires de leur partenaire turc.
Les Britanniques, qui ont fait du lancement des négociations d'adhésion avec la Turquie le principal objectif de leur présidence, ont discrètement conseillé aux Turcs de baisser le ton. Le point de plus délicat de la discussion ministérielle de Newport, hier, fut le lien entre la reconnaissance de Chypre, souhaitée à moyen terme, sans date butoir, et le cadre des négociations avec l'Union. Pour les Britanniques, il n'est pas question de conditionner l'ouverture des pourparlers à la question de la reconnaissance. Les Français, les Autrichiens et les Néerlandais ont tenté de durcir la déclaration commune avec l'appui des Luxembourgeois mais, hier soir, après de longues palabres, ils n'avaient pas obtenu gain de cause. La présidence britannique s'est contentée de souligner «l'importance d'une normalisation des relations entre la Turquie et tous les États membres», sans faire de lien explicite avec le cadre des négociations. Malgré cette agitation de dernière minute, les pourparlers d'adhésion commenceront comme promis le 3 octobre, avec une Turquie qui ne reconnaît pas Chypre.